La souffrance éthique
« C’est mon premier CDI : le recouvrement des impayés. Pendant presque trois ans, j’ai dû malmener, au téléphone et par écrit, souvent des sinistrés de la vie. Mais j’avais un emprunt immobilier sur le dos. Finalement, j’ai craqué. D’abord avec ma compagne, puis 1 semaine après, au bureau. A présent, en arrêt maladie depuis 4 mois »
« Avant, on soignait le boulot dans cette boite. Aujourd’hui, t’as tant d’heures et pas une de plus. Alors tu dis aux gars de mettre une couche au lieu de deux ou une fixation sur trois ! J’ai honte quand, en fin de travaux, des braves gens, qui n’y connaissent rien, te paient l’apéro et te remercient »
« Les livres, la littérature, c’est ma passion ! J’adorais conseiller les clients de la librairie. Mais mes collègues trouvaient que j’y passais trop de temps. J’étais devenue la fainéante qui laissait tomber les autres tâches. Seule leur prime mensuelle comptait. Je me suis sentie d’abord incomprise puis rejetée. »
« C’est un dilemme affreux pour un soignant : maintenir en vie, coûte que coûte, un patient ou envisager sa sédation profonde compte tenu de l’énormité du prix du traitement. »
C’est cela la souffrance éthique : gérer ses contradictions au risque d’être en désaccord avec les autres, mais surtout avec ses propres valeurs. Il nous arrive de faire des choses que l’on réprouve, nous n’agissons pas toujours comme l’on voudrait ou nous fermons les yeux sur des pratiques très critiquables.
Même dans les meilleures institutions, le travail peut être, pour chacun, source de conflits avec ses propres principes, ceux de ses collègues ou les injonctions de sa hiérarchie. Si ces tensions ne sont ni régulées ni débattues, elles peuvent menacer sérieusement l’équilibre psychologique du salarié concerné.
D’un individu à l’autre, dans une même équipe, les représentations et les pratiques de travail sont parfois fort différentes. Pour certains, bien travailler, c’est maîtriser habilement le client, défendre l’entreprise et ses produits, dont il ne leur appartiendrait pas de juger la qualité ou l’utilité. Ils trouvent normal d’être évalués en fonction de leurs performances. Ce qui ne les empêche pas d’être parfois furieux contre des dirigeants qu’ils jugent incapables de gérer des clients mécontents. Car, comment vendre plus de prestations après un différend ?
D’autres considèrent que bien travailler consiste à fournir, au bénéfice du client, un service correspondant à l’image élevée qu’ils ont de l’entreprise et du produit, image à laquelle ils identifient la valeur de leur travail. Ils ne supportent ni de « vendre du vent », ni de ne pas parvenir à atteindre les objectifs fixés. Bien qu’ils « se défoncent », ils se sentent d’autant plus humiliés par le mépris des clients et des cadres.
Le degré de confiance dans la direction de l’entreprise influe aussi sur la perception d’une modification du travail. L’un pourra accepter temporairement une situation insatisfaisante justifiée par un enjeu particulier, l’autre n’y verra qu’un « enfumage » de la hiérarchie conduisant à l’abandon de toute éthique professionnelle.
Mettre un couvercle sur sa souffrance éthique, parfois simplement pour garder son gagne-pain, a un coût psychique élevé. A l’opposé, résister de manière brouillonne ou excessive, c’est prendre le risque d’être incompris des autres et de sa hiérarchie, d’être rejeté.
Dans les deux cas, il y a perte d’estime de soi et mise en danger de son équilibre affectif et mental. L’erreur, dans pareils contextes, c’est refuser toute relation d’aide. Or pareille relation d’aide est la finalité même de l’accompagnement proposé par un coach professionnel.